Le paradoxe du xénon manquant sur Terre et Mars est une des énigmes de la géochimie jusque là toujours imparfaitement résolue par les divers scénarios proposés, scénarios publiés dans des revues à très fort impact et avec un relai large dans les revues de vulgarisation jusque dans les quotidiens nationaux (Le Monde par exemple en 2012 suite au scénario de Shcheka et Kepler publié également dans Nature). Les études sur la géochimie du xénon sont en effet très suivies, car c’est un traceur exceptionnel de la formation de la Terre et des planètes, mais aussi un traceur très surveillé des tests nucléaires sous-terrains et des fuites de réacteurs civils.

Or nous avons démontré au cours des 15 dernières années que le xénon n’est pas un traceur inerte mais qu’il réagit dans les conditions de hautes pressions et températures des intérieurs planétaires, se liant aux atomes d’oxygène. Notre première compréhension de ce phénomène (Sanloup et al. Science 2005) a ouvert la voie de la synthèse et de la prédiction des composés de xénon sous pression, composés de haute énergie, à la fois par la communauté de physique des hautes pressions et celle de la chimie des gaz rares. Il y a donc un intérêt très fort et multidisciplinaire sur cette thématique, et le CNRS ne s’y est pas trompé en finançant cette nouvelle étude via la MITI et via le programme 80PRIME pour la thèse d’Igor Rzeplinski, premier auteur de l’article, co-encadré par Denis Horlait (Laboratoire des deux infinis de Bordeaux, IN2P3) et Chrystèle Sanloup (IMPMC, INP).

Cette étude parachève la découverte de la réactivité du xénon dans les intérieurs planétaires en démontrant son impact sur le fractionnement des isotopes du xénon. Nous en déduisons un scénario complet couvrant tous les aspects du xénon manquant (aspects élémentaires, isotopiques et temporels). De façon inattendue, ce scénario lève aussi le voile sur l’histoire précoce des planètes telluriques en révélant que chaque impact entre embryons planétaires a mené à un stade d’océan magmatique couplé à la perte d’atmosphère, et que cela s’est nécessairement reproduit au moins une dizaine de fois, le xénon étant à chaque fois un peu plus enrichi en isotopes lourds.

Enfin, au-delà de la résolution du paradoxe du xénon manquant, la compréhension de la chimie du xénon dans la Terre et les planètes ouvre maintenant des perspectives de recherche plus appliquées. Les ingrédients Xe, oxydes, hautes pressions et hautes températures sont réunis dans d’autres contextes comme les réacteurs nucléaires ou la propulsion spatiale, où les limites de rendement et de durée de vie des composants pourraient être repoussées par une optimisation des matériaux.