JUNO : un grand observatoire de neutrinos

Le contexte scientifique

L’observatoire international de neutrinos JUNO (Jiangmen Underground Neutrino Observatory) est en cours de construction dans le sud de la Chine. Son principal objectif est l’observation d’antineutrinos électroniques émis par des réacteurs nucléaires pour mieux connaître le neutrino, particule de matière la plus abondante dans l’Univers, et pour déterminer en particulier :

  • la hiérarchie de masse des neutrinos en six ans de prise de données avec un niveau de confiance d’au moins 99,7%,
  • les valeurs de trois paramètres d’oscillation des neutrinos () avec une précision jamais atteinte (<0,6%)

Pour cela, le détecteur a été placé à une distance optimale de 53 km de deux centrales nucléaires (Taishan et Yangjiang) permettant de se situer à un minimum des oscillations pour distinguer la hiérarchie de masse normale ( et hiérarchie de masse inversée (. En plus des antineutrinos électroniques émis par les réacteurs nucléaires, l’observatoire JUNO sera capable de détecter les neutrinos du Soleil, les neutrinos issus de l’explosion d’une Supernova, les neutrinos atmosphériques et même les neutrinos produits dans la Terre. Autant de messagers qui nous permettront également de mieux comprendre à la fois les phénomènes stellaires et terrestres.

Localisation de l’observatoire JUNO en Chine à équidistance des centrales nucléaires de Yangjiang et Taishan.

Localisation de l’observatoire JUNO en Chine à équidistance des centrales nucléaires de Yangjiang et Taishan. ©collaboration JUNO

Spectre en énergie attendu des antineutrinos électroniques de réacteur mesurés par JUNO pendant près de 6 ans de prises de données. Quatre des paramètres d’oscillation sont illustrés ainsi que le déphasage entre hiérarchie normale (en bleu) et hiérarchie inversée (en rouge).

Spectre en énergie attendu des antineutrinos électroniques de réacteur mesurés par JUNO pendant près de 6 ans de prises de données. Quatre des paramètres d’oscillation sont illustrés ainsi que le déphasage entre hiérarchie normale (en bleu) et hiérarchie inversée (en rouge). ©collaboration JUNO

Spectre en énergie attendu des antineutrinos électroniques de réacteur mesurés par JUNO pendant près de 6 ans de prises de données. Quatre des paramètres d’oscillation sont illustrés ainsi que le déphasage entre hiérarchie normale (en bleu) et hiérarchie inversée (en rouge).

Spectre en énergie attendu des antineutrinos électroniques de réacteur mesurés par JUNO pendant près de 6 ans de prises de données. Quatre des paramètres d’oscillation sont illustrés ainsi que le déphasage entre hiérarchie normale (en bleu) et hiérarchie inversée (en rouge). ©collaboration JUNO

Photo de l’entrelacement des photomultiplicateurs de diamètres 20 pouces et 3 pouces pour mesurer la lumière de scintillation produite par l’interaction d’un antineutrino dans JUNO (collaboration JUNO).

Photo de l’entrelacement des photomultiplicateurs de diamètres 20 pouces et 3 pouces pour mesurer la lumière de scintillation produite par l’interaction d’un antineutrino dans JUNO (collaboration JUNO).

Le schéma du détecteur JUNO est illustré sur la figure ci-dessous. Il est composé d’une sphère en acrylique de 35,4 m de diamètre contenant 20000 tonnes de liquide scintillant qui constitue la cible de détection des antineutrinos électroniques. La réaction se fait via la réaction bêta inverse sur un proton de l’hydrogène () avec un seuil de 1,8 MeV. Du fait de sa très faible probabilité d’interaction, seulement 60 neutrinos seront détectés chaque jour. Le détecteur a donc été installé dans un laboratoire souterrain situé à 700 m de profondeur pour s’affranchir des muons cosmiques. Une résolution de 3% à 1 MeV (sans précédent pour un détecteur de cette taille) est requise afin de distinguer les scénarios de hiérarchie de masse. Pour cela, JUNO est équipé de deux systèmes de photodétection pour collecter les photons produits après l’interaction des neutrinos : un premier ensemble de 17600 photomultiplicateurs (PM) de taille 20 pouces et un deuxième ensemble de 25600 PM de taille 3 pouces, entrelacés dans le premier ensemble (voir figure ci-dessous). Afin de se protéger de la radioactivité naturelle de la roche et de détecter les muons cosmiques résiduels, la sphère scintillante est immergée dans une piscine cylindrique remplie d’eau de 44 m de hauteur et 43,5 m de diamètre et surmontée d’un détecteur de traces pour les muons. Les matériaux du détecteur ont également été sélectionnés afin de contenir le moins d’impuretés radioactives possibles susceptibles de mimer l’interaction d’un neutrino. Enfin, la collaboration JUNO construit également le détecteur TAO (Taishan Antineutrino Observatory) installé auprès d’un des réacteurs de la centrale de Taishan afin de mesurer très précisément un spectre en énergie de référence des antineutrinos.

LES CONTRIBUTIONS DU LP2I BORDEAUX DANS JUNO

La collaboration JUNO regroupe plus de 600 chercheurs et ingénieurs dans 77 institutions de par le monde, principalement en Chine et en Europe, dont 5 instituts en France au sein de l’IN2P3. Depuis 2016, le groupe Neutrino du LP2i Bordeaux est fortement impliqué dans quatre thématiques principales du projet JUNO :

Comparaison entre simulations (histogrammes en bleu et en rouge après modifications) et mesure (en noir) de la désintégration du Lithium 9, noyau radioactif pouvant mimer la réaction bêta inverse d’un antineutrino électronique.

Comparaison entre simulations (histogrammes en bleu et en rouge après modifications) et mesure (en noir) de la désintégration du Lithium 9, noyau radioactif pouvant mimer la réaction bêta inverse d’un antineutrino électronique.

    • la caractérisation d’ultra-traces radioactives dans les matériaux critiques à l’aide de plusieurs techniques (spectroscopie , ICPMS par ablation laser, émanation Radon) ;
    • la conception, la caractérisation et l’étalonnage de l’électronique de lecture du système des 25600 PM de taille 3 pouces et la mise en route du système complet ;
    • la conception, la réalisation et l’étalonnage de l’électronique de lecture du système anti-muons cosmiques du détecteur TAO.
Photo des 128 PM de taille 3 pouces utilisés au LP2i Bordeaux dans une chambre noire pour tester les performances de l’électronique de lecture de JUNO. ©LP2I Bordeaux_JeanJouve

Photo des 128 PM de taille 3 pouces utilisés au LP2i Bordeaux dans une chambre noire pour tester les performances de l’électronique de lecture de JUNO. ©LP2I Bordeaux_JeanJouve

Photo du dispositif de mesure d’émanation du Radon 222 (en haut) utilisé pour les PM de taille 20 pouces (en bas) dans la plateforme PRISNA du LP2I Bordeaux. Le Radon est également un autre noyau radioactif naturel pouvant contribuer à perturber l’identification des antineutrinos dans JUNO. ©LP2I Bordeaux_Neutrino

Photo du dispositif de mesure d’émanation du Radon 222 (en haut) utilisé pour les PM de taille 20 pouces (en bas) dans la plateforme PRISNA du LP2I Bordeaux. Le Radon est également un autre noyau radioactif naturel pouvant contribuer à perturber l’identification des antineutrinos dans JUNO. ©LP2I Bordeaux_Neutrino

Prototype final l’électronique JUNO permettant de numériser les signaux de 128 PM 3 pouces. Au premier plan, on observe la carte de lecture développée au LP2i Bordeaux et équipé de 8 puces CATIROC. ©LP2I Bordeaux_Neutrino

Prototype final l’électronique JUNO permettant de numériser les signaux de 128 PM 3 pouces. Au premier plan, on observe la carte de lecture développée au LP2i Bordeaux et équipé de 8 puces CATIROC. ©LP2I Bordeaux_Neutrino

Le principal livrable instrumental du groupe Neutrino entre 2017 et 2021, en lien avec le service Electronique du LP2i Bordeaux, a été de concevoir, caractériser et étalonner les 200 cartes électroniques de lecture capable de numériser chacune les signaux de 128 PM 3 pouces, soit au total 25600 voies de lecture des charges et temps.

 

Références

The JUNO collaboration, JUNO Physics and Detector, published in Progress in Particle and Nuclear Physics

The JUNO collaboration., Abusleme, A., Adam, T. et al. Radioactivity control strategy for the JUNO detector. J. High Energ. Phys. 2021, 102 (2021).

Conforti et al 2021 JINST 16 P05010 ⊕ 

9Li and 8He decays in GEANT4, Jollet, A. Meregaglia, NIM A949, 2020, 162904

The JUNO collaboration, TAO Conceptual Design Report: A Precision Measurement of the Reactor Antineutrino Spectrum with Sub-percent Energy Resolution